Il y a la rentrée littéraire parisienne et ses attentes convenues. Et il y a les auteurs qui se lancent dans l’écriture d’un premier roman, loin de cette agitation bien trop mise en scène. C’est le cas d’Olivier Claudon. Si le nom ne vous est pas inconnu, c’est que vous retrouvez quasi quotidiennement cette signature dans les Dernières Nouvelles d’Alsace. A la lecture de ce premier roman, Et la ville sera vide, le journaliste n’est jamais loin, pour proposer de revisiter un terrible épisode de l’histoire locale, l’évacuation de la ville le 1er septembre 1939, sous forme de fiction historique.
Olivier, comment est née l’idée de ce livre ?
Ce sont les quelques photos d’archives que l’on connaît des rues vides de Strasbourg entre septembre 1939 et juin 1940, pendant ce qu’on appelle l’évacuation, qui m’ont inspiré. Ce décor fantomatique m’a paru terriblement romanesque. J’avais cette idée en tête depuis quelques temps déjà. J’en ai fait un roman, à la fois d’aventure et d’initiation.
Pourquoi cette période précise ?
Parce que l’évacuation c’est la drôle de guerre, l’aube sinistre de la seconde guerre mondiale. Juste avant que le monde ne bascule. La guerre est un objet littéraire très courant. C’est un temps en dehors de la normalité, où tout s’exacerbe, où l’Histoire s’accélère. La guerre est propice à l’écriture car elle permet de raconter comment les hommes et les femmes font ou subissent l’Histoire. Mais étonnamment, l’évacuation, un événement considérable, est très peu présente en littérature, si ce n’est dans les premières pages des Nuits de Strasbourg, le roman d’Assia Djebar.
Quel est le pitch ? (j’imagine que ce mot te fait tressauter !)
Le 1erseptembre 1939. Là je tressaute. L’Allemagne attaque la Pologne et les autorités françaises ordonnent l’évacuation préventive des zones frontalières, dont Strasbourg. Au moment où les enfants de l’orphelinat municipal quittent la ville, Albert, l’un des pensionnaires, qui ne sait rien de ses origines, fugue et revient au foyer pour fouiller dans son dossier. Il y découvre une adresse située dans le centre-ville. Il ne sait pas pourquoi elle figure dans son dossier ni à quoi elle correspond. Il décide donc d’aller voir et entre de façon clandestine dans la ville déjà vide et quadrillée par les soldats. Au même moment, un banquier parisien envoie son enquêteur privé en Alsace après avoir reçu de Strasbourg un télégramme anonyme…
As-tu rencontré des témoins qui ont vécu cette période de l’histoire strasbourgeoise ?
Oui, j’ai rencontré cette année des personnes qui sont entrées dans Strasbourg à ce moment là. Mais je les ai rencontrées après la fin de l’écriture du roman, dans le cadre d’un travail d’enquête pour mon journal. Je dois avouer que j’ai été troublé par les témoignages que j’ai recueillis. D’abord parce que ce sont des tranches de vie incroyables et des témoignages très rares, 80 ans après. Et puis j’avais l’étrange impression d’avoir connu la même chose que ce qu’elles me racontaient, après avoir imaginé pendant deux ans ce décor incroyable, m’être mis dans la peau de mes personnages, m’être projeté dans leurs aventures. C’était troublant. Mais je te rassure, j’ai réussi à revenir au XXIe siècle.
Qu’as-tu appris, plus personnellement, en écrivant ce livre ?
Qu’il faut persévérer. Et qu’il faut croire en ses rêves. Je commence aussi à entrevoir et identifier des thématiques qui me traversent et dont je n’avais pas conscience. L’écriture, c’est aussi une forme d’introspection.
Quelle aura été ta principale difficulté comme journaliste écrivant un roman ?
Le journaliste se doit de transmettre des informations, avec des détails, des précisions, des explications. C’est une forme d’engagement et parfois de combat. L’écriture d’un roman est au contraire un processus narratif qui n’est pas forcément attaché à la véracité. L’idée est d’inventer un univers et d’y accompagner le lecteur pour lui offrir un voyage.
Et quelles sont les principales différences d’écriture entre journalisme et roman ?
J’ai appris avec le temps, en écrivant de la fiction, qu’il faut laisser au lecteur une part d’imagination, ne pas tout lui montrer ou trop décrire. J’aime bien cette citation de Stendhal d’ailleurs qui dit qu’ « un roman est comme un archet, et la caisse du violon qui rend les sons, c’est l’âme du lecteur. » Et puis, pour les considérations historiques, mon éditeur La Nuée Bleue, dans le cadre de cette nouvelle collection qui s’appelle L’Histoire est un roman, a imaginé ajouter pour chaque livre une postface écrite par un historien. Celle-ci vient contextualiser le roman pour le lecteur qui le souhaite. Je trouve que ça se complète bien. J’ai vraiment cité Stendhal ?
Tu te retrouves désormais dans la peau de l’interviewé. Ça fait quoi de répondre à des questions plutôt que de les poser ?
Je suis plutôt bavard, c’est un exercice qui me plaît. Mais je peux aussi faire des réponses courtes.
Ce roman semble inspirer une suite. Elle est déjà quelque part, dans ta tête ? Ou bien tu souhaites repartir de zéro avec une nouvelle histoire, nouveau héros ?
J’ai commencé l’été dernier l’écriture de mon prochain roman, qui n’a absolument rien à voir. Mais depuis la sortie d’Et la ville sera vide, c’est vrai, des lecteurs et lectrices me demandent une suite aux aventures d’Albert et Hubert Monge. Certains font même des propositions dans ce sens, imaginent tel ou tel rebondissement. C’est réjouissant parce que ça veut dire qu’ils se sont attachés aux personnages.
Je n’ai pas écrit ce roman, imaginé son intrigue et sa chute, avec l’idée d’en faire une suite. Maintenant, j’ai quelques idées et je me donne un peu de temps pour y réfléchir, mais je ne veux pas faire une suite juste pour dire qu’il y a une suite. Et puis je dois avouer que je me suis déjà attaché au personnage principal du roman commencé cet été. C’est d’ailleurs une héroïne. Mais j’en ai déjà trop dit.
Et la ville sera vide / Olivier Claudon (Ed. La Nuée Bleue)
Crédit photo @Jean-Louis Hess pour les Ed. La Nuée Bleue