L’homme du 221b Baker Street, à Londres, est toujours considéré comme l’archétype du détective. A tel point que la télévision lui a inventé deux nouvelles vies, l’une à Londres (Sherlock), l’autre à New-York (Elementary).
Personnage mystérieux, Sherlock Holmes fait l’objet de nombreuses études. En France, comme dans de nombreux pays, une société holmesienne décortique chaque mot de l’oeuvre de Sir Arthur Conan Doyle et se lance dans d’impressionnants débats.
Le journaliste Jacques Fortier, plume bien connue pendant de nombreuses années aux Dernières Nouvelles D’Alsace et au Monde, est l’un des plus grands admirateurs du fameux détective.
Il parlera des nombreuses vies de Sherlock Holmes le 4 mars prochain à l’occasion d’une conférence à l’Espace Sportif et Culturel de Mittelhausbergen.
Jacques Fortier, Comment êtes-vous « tombé » dans Sherlock Holmes ?
Je l’ai lu enfant, dans l’édition Robert-Laffont des Œuvres complètes de Conan Doyle de la fin des années cinquante ; je l’ai relu adolescent, puis adulte, sans m’en lasser. Je prends plaisir même aux passages que je connais (presque) par cœur.
Comment les lecteurs, puis spectateurs, se sont-ils attachés à un personnage finalement peu sympathique ? En quoi pourrait-il être plus fascinant que son rival littéraire Hercule Poirot ? Parce qu’il apparaît plus moderne ? Parce qu’il a plus de failles ?
Holmes a surtout conquis le public quand il est apparu dans des nouvelles (à partir d’Un scandale en Bohême) : la structure du récit, qui donne d’ailleurs ses lettres de noblesse au roman policier (ébauché avant Conan Doyle par Edgar Allan Poe ou Emile Gaboriau), mais conçu dans une forme brève, a fait merveille. Par ailleurs, le binôme Watson & Holmes est une trouvaille : le lecteur en voit plus et en comprend plus que Watson, ce qui le console d’en voir moins et d’un comprendre moins que Holmes. Holmes surpasse Poirot, c’est évident. Ce n’est pas une question de « modernité », c’est lié à son caractère énigmatique, à sa mécanique intellectuelle, à ce que justement il ne fait rien pour être aimé, à son côté un peu givré et parfois à ses accès de tendresse envers son ami…
« L’élémentaire n’est pas si élémentaire, mon cher Fortier »… cette fameuse formule « Elémentaire mon cher Watson » n’apparait jamais en tant que telle dans l’oeuvre de Conan Doyle ?
Non, la formule n’est pas dans le « Canon », donc les 60 récits signés par Sir Arthur Conan Doyle et publiés entre 1887 et 1927. Le mot « élémentaire » y est, mais jamais associé à ce « mon cher Watson ». Elle apparaît complète dans le film Le retour de Sherlock Holmes (1929) et dans les « suites » que le fils de Conan Doyle, Adrian, a données en 1954 aux aventures du détective en collaboration avec John Dickson Carr (dans L’aventure de la veuve rouge). C’est d’ailleurs assez savoureux qu’aucun des trois symboles les plus liés à Holmes aujourd’hui (la pipe en « S », la casquette de tweed de type « deerstalker » et cette formule) ne soient dans le Canon.
Le cinéma, la télévision, ont donné un visage, peut-être figé un personnage. De Basil Rathbone à Robert Downey Jr en passant par Jeremy Brett ou Benedict Cumberbatch et tant d’autres, quel est pour vous le Holmes le plus proche de l’oeuvre d’origine ? Les adaptations plus modernes (Sherlock ou Elementary, voire Dr. House de façon plus périphérique), comment les jugez-vous ?
Chaque génération a le sien et on peut en discuter à perte de vue. Je suis, quant à moi, un mordu de Jeremy Brett, dans la série Granada Television produite entre 1984 et 1994. Il compose un Holmes remarquable, saisissant. Je prends beaucoup de plaisir aussi à la série Sherlock pour la BBC avec Benedict Cumberbatch, qui semble pour l’instant interrompue. Je suis plus réservé sur Robert Downey Jr : ce sont des James Bond réhabillés (avec malice) en Sherlock Holmes… Mais prenez le temps de voir Basil Rathbone ou même William Gillette (celui qui a « inventé » la pipe calabash), c’est intéressant aussi.
Jeremy Brett, considéré comme l’interprète le plus proche du Sherlock Holmes de Sir Arthur Conan Doyle
On parle depuis le début de l’interview de Sherlock Holmes. Il est lui-même le héros de ces aventures. Mais est-il le vrai héros, ou simplement un double créé par le docteur Watson ?
Question piège de l’holmésologie ! Un holmésien pur et dur vous récitera le credo : Holmes a existé, Waston a chroniqué ses aventures, Conan Doyle l’a aidé à les publier. Le héros est donc Holmes. Mais le lecteur passionné sait bien qu’on n’a accès à Holmes que par Watson (à quelques exceptions près dans le texte), et que celui-ci a sans doute, sans le vouloir, magnifié le portrait de son ami. L’hypothèse (parfois défendue dans l’holmésologie) que Holmes ne soit qu’une créature fictive de Watson (soit tout le temps, soit après sa mort dans les chutes du Reichenbach) m’apparaît indéfendable.
D’ailleurs, n’est-il pas étonnant que ce personnage central (notamment dans Le Chien des Baskerville, où Holmes est particulièrement absent) n’ait pas de prénom défini : parfois James, souvent John, voire John H. ?
L’affaire du prénom du bon Dr Watson est complexe, il faudrait une conférence pour la traiter…
La scène d’ouverture de Sherlock Holmes : jeu d’ombres (2011), dont la scène d’ouverture se passe à Strasbourg
J’imagine qu’il est difficile de choisir, mais quelle serait votre aventure favorite dans l’oeuvre de Conan Doyle ?
Mon aventure préférée ? Les trois Garrideb de 1924. Tout y est : l’ambiance du 221B, les déductions « à vue », la trouvaille qui transforme l’histoire (même si c’est la même que dans La ligue des rouquins), la réflexion et l’action. C’est aussi la nouvelle ou l’on voit le téléphone au 221B Baker Street et où Holmes montre le plus sa profonde amitié pour Watson, quand le docteur est blessé.
Et dans les oeuvres apocryphes ?
J’aime beaucoup les textes de René Reouven. La solution à 7% de Nicholas Meyer est un classique. Les quatre livrets sur La jeunesse de Sherlock Holmes à Pau de François Pardeilhan et les textes de Bernard Oudin, regroupés dans Sherlock Holmes et le cobra d’or, me plaisent aussi beaucoup. Je veux aussi citer (mais j’en oublie plein) Les abeilles de monsieur Holmes de Mitch Cullin, et, en bande dessinée, la série des Quatre de Baker Street.
S’il y avait une maxime, une formule, une conclusion à garder sur le personnage, quelle serait-serait-elle ?
« Personne ne se charge l’esprit de choses de peu d’importance s’il n’a une très bonne raison pour le faire ». C’est dans Une étude en rouge, et ça suggère pourquoi les holmésiens passent tant de temps sur ce personnage…
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Conférence Les nombreuses vies de Sherlock Holmes, lundi 4 mars à 19 heures, à l’Espace Sportif et Culturel de Mittelhausbergen. Entrée libre
Sherlock Holmes et le mystère du Haut Koenigsbourg (Le Verger Editeur)
Le dernier roman de Jacques Fortier, Opération Shere Khan (Le Verger Editeur), avec le héros créé par sa plume, Jules Meyer, est également disponible