Le Chalet a animé les nuits de l’est de la France (et aussi du sud-ouest de l’Allemagne, voire la Suisse) pendant 48 ans. A son apogée, le lieu était devenu aussi connu que la cathédrale. Au moins ! Cette fabuleuse épopée est désormais terminée, le lieu transformé en une de ces nombreuses nouvelles zones d’habitation, qui poussent plus vite que les champignons dans la forêt voisine.
Rencontre avec l’un des deux coauteurs de ce livre, le passionnant et passionné Jean-Paul Demeusy. Journaliste, archiviste, auteur, mais avant tout passionné de la musique en Alsace, il se remémore ces années Chalet, en compagnie de Corinne Kirsch.
Jean-Paul, Comment t’es venue l’idée de ce livre ?
Suite à la sortie (en 2016) de mon précédent livre« La Saga du Rock à Strasbourg » (1960-2015) et devant le succès de celui-çi j’ai été contacté par Philippe Friess le directeur général de Music Line, Bruno Eucat célèbre tourneur strasbourgeois (notamment à une époque de Johnny Hallyday), et Sébastien Meunier, l’ancien responsable d’antenne de France Bleu Alsace, et actuellement délégué aux programmes du réseau France Bleu et de France Bleu Paris. Celui-çi avait dédié une émission radio estivale au Chalet sur France Bleu Alsace en juillet 2016, et avait ainsi donné l’impulsion pour l’écriture d’un livre qui rallumerait les platines de ceux et de celles qui avaient presque en cinquante ans construit la notoriété de cette institution.
Le Chalet, une boîte de nuit, mais bien plus : le symbole de toute une époque. Pour toi, en quoi le Chalet était-il une institution, un marqueur de Strasbourg ?
Déjà par son âge : 48 ans. De 1962 à l’époque du yé-yé, du twist, et de la télé en noir et blanc, jusqu’en 2010 l’âge de l’électronique, du smartphone, et du hip-hop. Le Chalet était vraiment la plus belle « boîte » de la région haut la main, et son général en chef Jean-Claude Helmer en était le symbole. Tout le monde connaissait Le Chalet, même ceux qu’aimaient pas forcément ces lieux de « perditions nocturnes ». Sa grande période se situera dans les années 70 et 80 avec les années disco, et où Le Chalet faisait le plein de public (+ de 2000 personnes), chaque vendredi et chaque samedi soir. C’était du délire.
L’équipe du Chalet à l’époque disco (photo fournie par l’auteur)
Durant ses années d’existence, le lieu a accueilli de nombreuses stars. Quelles sont les plus importantes d’entre elles à avoir foulé la piste ?
Comme chanteurs ou chanteuses de variété et de chanson française il y eu le haut du panier avec : Mylène Farmer et Céline Dion. C’était au temps de l’émission « Pour le plaisir », produite et réalisée par l’excellent Christian Daniel (1983-1989). Sur le plateau on a pu y croiser Leny Escudero, C.Jérôme, Sacha Distel, Adamo, Jacques Dutronc, Gold, Images, Les Platters, Charlélie Couture, Marc Lavoine, Michel Fugain, Catherine Ribeiro, Nicoletta, Valérie Lagrange, Les Forbans, Yves Duteil, Plastic Bertrand, Nicolas Peyrac, Dick Rivers, Patricia Kaas … Sans oublier nos gloires alsaciennes Herbert Léonard, Raft ou Cookie Dingler. C’était beau, c’était fun.
Pendant les années 70, le dimanche en fin d’après-midi se déroulaient des concerts de pop et de rock de niveau national et international : en a pu entendre et voir Genesis avec Peter Gabriel, Titanic, Magma, Ange, Vince Talor ou Bill Haley. Le groupe de rock’n’roll « made in Alsace » Rhythm Checkers avec son célèbre chanteur-batteur « Bouboule » y jouèrent plus d’une fois, tant dans les années 64-66, qu’à la fin des 70, et à leur come-back au début des années 2000. La magie était là.
Jean-Claude Haller lors du réveillon 1999 devant l’entrée du Chalet (photo fournie par l’auteur)
Que peux-tu dire de la famille Haller, qui était à la tête de cet ensemble de la vie nocturne ? (le chalet, mais aussi les boites et restaurants voisins)
La famille Helmer (avec d’abord le père : Robert qui était alors patron du bar Le Montmartre à Strasbourg, au début des années 60), puis à son retour de service militaire Jean-Claude, qui grâce à un gain gagné au tiercé, acheta un nid à moustiques, envahi par les rats et les souris au Fuchs am Buckel, à l’orée de la forêt de la Wantzeau. D’un ex-poulailler il en fit une guinguette avec juke-box et fritures, et qui deviendra par la suite le Saturday Night Fever de Strasbourg. Le Chalet passera de 200 à 2000 m2.
A la fin des années 60 il y eu tout d’abord Le Slow Club, qui petit à petit et à partir de 1972-1973, se transformera en restaurant pizzéria, L’Etable, qui perdurera jusqu’à la fin de l’aventure. En face du Chalet il y eu Le Ranch (ex : Chatelet de la forêt), un endroit-dancing bien fréquenté ou l’on pouvait « guincher » sur de la musique un peu rétro grâce à l’orchestre maison The Mikado. Le Ranch disparu au milieu des années 80. A sa place, Dan le fils de Jean-Claude y fit construire successivement plusieurs espaces de restaurations, qui vont impacter la clientèle, et notamment celle désireuse de faire un repas entre amis, avant d’aller danser. Il y eu le El Paso en 1987, puis à partir de 1992, cet établissement changera de nom pour s’appeler le El Rancho, puis se succéderont des changements d’enseignes : Spaghetti Station, El Pueblo, Villa Italia, enfin Villa Cuba en 1998 et ceci dans un cadre très soigné.
Quelles ont été les raisons de la fin ?
Le changement d’époque sans aucun doute, avec ses nouvelles valeurs. Le temps des discothèques à l’ancienne était révolu. Il y eu un basculement au début des années 2000, avec essentiellement un changement de clientèle qui avait surtout moins d’argent à dépenser dans ce genre d’établissement, et qui ne s’habillait plus pour aller en boîte. Les nouvelles loi en vigueurs, (interdiction de la cigarette par exemple), ainsi que la « drague » dorénavant par smartphone, alors pourquoi encore aller en boîte ? Pour y faire quoi ? La musique, on l’écoute chez soi, ou sur les bancs publics en buvant de l’alcool. Argent trop cher ! Et puis n’oublions pas des conflits (de générations ?) entre les différents membres de la famille Helmer. C’était dur de continuer dans ces conditions. De toute façon l’âge d’or des discothèques « à l’ancienne » était bien terminé.
Parmi ces raisons (ou en plus de ces raisons), l’évolution de la musique a-t-elle eu une influence ?
Certainement oui, bien que Jean-Claude Helmer n’aimait pas le hip-hop, le r’n’b ou la techno. A un certain moment il fut bien obligé de s’y mettre, même à petite dose, grâce surtout à E.T. (célèbre DJ du Chalet) qui le lui recommanda à plusieurs reprises.
Le maître des lieux (photo fournie par l’auteur)
La fin du chalet, qu’a-t-elle entraîné comme conséquences pour Strasbourg ?
La nostalgie pour beaucoup. Je m’en rend compte surtout lors de mes séances dédicaces dans la région. Toutes les générations, tous les ex habitués de ce lieu regrettent ce « bon vieux temps », où l’on pouvait encore s’éclater sur les dancefloors du Chalet, avec d’une main sa cigarette et de l’autre son verre de whisky. La classe quoi.
Quelle est l’anecdote qui t’a le plus marqué lors de ton travail de recherches ?
Des anecdotes il y en a trop pour que je puisse en sortir une plutôt qu’une autre. N’oublions pas qu’il y a eu plus de 2000 personnes qui ont travaillé au Chalet, et plus de six millions l’ont fréquenté. C’est énorme !
Qu’est-ce qui a été le plus difficile pour toi dans la réalisation de ce livre ?
La difficulté c’est que comme tout autre livre faisant appel à la mémoire collective, on ne peut éviter certaines petites erreurs. C’est humain. Par exemple si vous mettez côte à côte deux personnes qui assistent à un événement, les deux auront un vécu de l’événement assez différent, pourtant ils étaient-là, tous les deux au même endroit. Enfin n’oublions pas qu’au Chalet il y avait des clans de ceci ou de cela. Certaines personnes se prenant pour des « gardiens du temple », les dépositaires d’un passé à jamais révolu.
J’ai mis avec ma collégue Corinne Kirsch deux ans à écrire et à réaliser le livre « Les Années Chalet » (1962-2010), les Nuits Polychromes – (chez Bastian éditions).