La rencontre a lieu avant un match de la SIG Strasbourg, alors qu’Alain De Senne prépare son intervention. Il est concentré sur ses fiches, qu’il prépare, corrige, annote, surligne, et sur son matériel : on dirait un mini cockpit d’avion !
L’homme est occupé, toujours le costume et le tee shirt noir, à la Ardisson, les manches relevées et ses lunettes qui lui donnent un côté star. Mais ne vous-y trompez pas plus d’un instant, l’homme est affable, accueillant, chaleureux, avec cette voix si particulière, bien plus douce et réservée en privé qu’au micro.
Qui es-tu Alain De Senne ? Manageur d’artiste, régisseur, et désormais ambiance…
En revenant d’une prestation à Saint-Denis De la Réunion, quand j’étais régisseur des Zouk Machine, j’ai rencontré Jacques Fouroux et Charles Biétry qui voulaient relancer le rugby à XIII en France, puisque Jacques briguait la présidence du XV auparavant. On s’est retrouvés dans les stades de XIII pour y faire du spectacle, invitations, pour remplir les stades et il avait engagé les Zouk Machines. Et il m’a vu faire un warm-up avant leur show. Là il m’a dit, c’est ce que je veux : pas un speaker mais un ambianceur. A l’époque il y avait comme partenaire NRJ. On a fait une tournée d’été sport-spectacle. Charles Biétry, lui, venait de créer le rugby au sein du PSG Omnisports, et il m’a proposé de travailler sur tous les sports hors foot du club. C’est comme ça que c’est parti !
Ta mission, quand tu viens dans un club, c’est quoi ?
Il parait qu’il faut 15 à 20 ans pour être connu, alors maintenant on m’appelle en me disant « c’est un peu froid, on a besoin de faire vivre le match ». Ma mission, c’est de faire vivre le public, et que ce soit festif pour tout le monde, même ceux qui n’aiment pas le basket. Et le basket, comme tous les sports américains, est fait pour le spectacle !
Qu’est-ce qui te passionne le plus dans ce job ?
C’est un peu un condensé de tout ce que j’ai fait : Dj, radio, TV (j’avais une émission quotidienne à la Réunion). Et sur le basket et le handball, par rapport au foot, on peut mettre de la musique, de l’ambiance pendant le match. Avec Charles Biétry, il y a 25 ans, on a été les premiers à apporter des sons dans le sport français. Avant, ici ça n’existait pas. Avant, le speaker annonçait les numéros et une compile et ça s’arrêtait là. On a fait un tour aux Etats Unis avec Charles Biétry et Tony Parker Sr. (NDR : le père de Tony Parker) pour voir ce qui se passait. Ils avaient dix ans d’avance sur nous (écrans, lumières, vidéos, etc.) et c’est comme ça qu’on a créé les premiers jingles sur des essais, des paniers, des buts. Quand je suis arrivé je ne connaissais pas trop ces sports et c’est parti comme ça. Et c’est copié partout, partout, partout maintenant.
Tu travailles comment pour les musiques ?
En fait, tous les jours je circule. L’an dernier j’ai fait 70.000 km en train. J’ai du temps pour écouter. Tu cherches aussi des titres plus anciens, parce que dans une salle il faut plaire à un public de 7 à 77 ans. Il faut aussi faire attention à ne pas être trop ringard. Et s’adapter. A Limoges, par exemple, ils ne veulent pas de musique, pas de speaker, les Ultras ont pris le pouvoir. Ils m’en veulent un peu. Ils croient même que je fais l’ASVEL (NDR : Villeurbanne) et que j’y ai mis du Sardou. Mais ce n’est pas moi ! (rires)
Par contre je cherche des vieux morceaux rock, la soul, la dance des années 80, et je les mélange avec des musiques actuelles. Il y a plein de jeunes qui arrivent et ces Djs qui accompagnent les animateurs restent dans leur style, donc le public n’adhère pas forcément. On n’a par exemple jamais trouvé mieux que We Will Rock You de Queen. Si demain on m’apporte quelque chose d’aussi efficace : je prends ! Je suis paradoxalement celui qui se renouvelle le plus. Au bout de 25 ans, les gens ont parfois tendance à se dire « encore lui », mais j’ai des nouveautés et je suis souvent copié. Donc on croit que c’est moi alors que je suis déjà passé à autre chose. Alors, arrêtez de copier, proposez des choses (rires), ce sera top aussi pour moi !
La pluie d’étoiles dans une salle, une idée d’Alain, née au Rhénus Sport, à Strasbourg
Tu travailles désormais pour plusieurs clubs. Ca se passe comment quand deux d’entre eux s’affrontent sous tes yeux ? Des cas de conscience ?
Les équipes pour lesquelles je travaille, je les aime toutes. Aujourd’hui j’ai la chance de pouvoir choisir les clubs avec lesquels je travaille. Il y en a plein en attente, et je commence à former des animateurs locaux.
Quand il y a deux équipes, je les aime autant l’une que l’autre. Moi ce qui m’intéresse c’est le show, c’est que ça joue. Je ne suis pas un supporter avant tout. Moi ce que je veux c’est que ça joue dans une ambiance festive. Vincent Collet, quand il me voit ailleurs qu’à la SIG il me dit « Alain, nous ce qu’on veut, c’est une salle qui bouge, ça nous crée de l’adrénaline ! ». Ca ne gêne que les imbéciles qui ont des oeillères. Je suis le seul gagnant, parce que quelle que soit l’équipe qui gagne, c’est mon équipe qui gagne !
Quelle est ta relation avec les supporteurs ?
Très bonne. Très très bonne. On lit plein de choses sur les réseaux sociaux, partout : Joseph Bissang (arbitre) est un très bon copain. On sait qu’il y a eu une certaine finale où tout ne s’est pas bien passé entre nous, on en a parlé, tout est arrangé. Jean-Denys Choulet (coach haut en couleur de Chalon/Saône, NDR) pareil, c’est un jeu entre nous. Faut savoir que c’est un guerrier : s’il ne peut pas prendre le public en grippe, il me prendra moi en grippe. Mais c’est quelqu’un que j’adore et que je respecte. L’un des plus grands coaches français et même européens.
Alain, je vais maintenant te demander quelques mots sur les personnalités suivantes :
1° Vincent Collet
Le professeur, la maîtrise, la technique. Le professeur.
2° Boris Diaw
Le boss, le patron du basket français et international. Quelqu’un qui n’a jamais eu la notoriété d’un Tony Parker, mais il a toujours suivi son cap et c’est un grand bonhomme.
3° Tony Parker
La première star française à exploser en NBA, et aussi à faire grandir le basket par son charisme. C’est mon pote, je l’ai connu tout jeune. Un mec génial et qui n’a pas changé, qui vient toujours te dire bonjour. Un mec qui est resté droit et fidèle.
4° Jean-Luc Reichmann
Ah, lui c’est mon pote. C’est la famille. C’est plus le handball, puisque je m’occupe aussi des équipes de France de hand. Reichmann, c’est la famille.
5° Jeane Manson
Ca a été une année de collaboration. On s’est rencontrés à La Réunion où je l’avais faite venir. Elle était en séparation. Ca a été une année où on a tout mélangé, et puis ça s’est arrêté. Très beau souvenir.
6° Annie Girardot
Ah… Elle était un peu ma deuxième maman. J’ai collaboré avec elle au moment où le cinéma l’avait oubliée. Elle venait de publier ce livre sur sa mère. On n’arrêtait pas de faire des séances de signatures dans les hypermarchés, elle était très fatiguée. Ca s’est arrêté parce que ça devenait invivable, mais au final ça reste une super expérience. C’était une femme magique !
Dernière question : quand Eric (ton vrai prénom) voit Alain dans le miroir, est-il fier de lui ?
(Hésitation)…. Tu vois, moi je suis un vrai timide… On est tous mégalo, on a envie de plaire, de séduire. Eric est très timide, introverti. Alain c’est justement ce gars qui pousse Eric à faire ce qu’il n’oserait pas faire seul. J’ai rencontré beaucoup de gens dans ma vie, comme Johnny Hallyday, et c’étaient des gens hypra-timides. Baffie est un vrai timide, mais dès qu’il y a la lumière tu fais ton métier. Il faut cette ambivalence pour réussir dans ce métier. Tu sais, ceux qui sont grande-gueule, qui toute la journée blaguent et tout, ils ne deviendront jamais des humoristes.
C’est pas par hasard s’il y a eu Eric puis Alain qui est arrivé : c’est une protection, un miroir.