Il est pour certains celui « par qui le scandale arrive » et pour beaucoup d’autres un exemple d’ouverture. Christophe Kocher est le pasteur de l’église Saint-Guillaume. Le 20 septembre, en partenariat avec son église, le Festival Européen du Film Fantastique y diffusera le film L’Exorciste (William Friedkin / 1973). Rencontre avec un pasteur vraiment pas comme les autres !
Vous avez accepté la proposition du FEFFS de diffuser le film L’Exorciste dans votre église. La décision n’a-t-elle pas choqué vos paroissiens ?
La décision a été prise par le Conseil presbytéral que je préside, composé de membres élus par les paroissiens pour les représenter et pour gérer la paroisse tant sur le plan matériel que spirituel. Quelques échos mitigés me sont effectivement parvenus de la part de paroissiens qui exprimaient davantage la surprise et l’interrogation que le choc ; ils se comptent sur les doigts d’une main. Davantage de retours positifs ont été formulés suite à la médiatisation de l’événement par des paroissiens estimant que cette décision manifeste l’ouverture d’esprit qui nous est chère à Saint-Guillaume.
De manière globale, et avec le recul d’une médiatisation qui a commencé il y a près de deux semaines, la décision semble avoir laissé les paroissiens de Saint-Guillaume plutôt indifférents. Ils sont habitués à ce que leur église soit utilisée pour d’autres manifestations que pour le culte ; ils sont aussi habitués à l’audace de leur pasteur et de leur Conseil presbytéral qui font peu de cas du « diplomatiquement correct ».
Sur le plan institutionnel, l’Inspecteur ecclésiastique de Strasbourg qui représente notre autorité spirituelle a été informé en amont de la médiatisation et ne voyait pas de problème à ce que la paroisse Saint-Guillaume accueille le Festival européen du film fantastique pour une projection de l’Exorciste. Cela dit, la direction de l’Union des Eglises protestantes d’Alsace et de Lorraine (UEPAL) a estimé que la décision du Conseil presbytéral relevait de la « faute de goût » dans un courrier qu’elle nous a adressé. Mais les goûts et les couleurs…
Au niveau des réseaux sociaux, la véhémence d’une personne a suscité quelques prises de position passionnées sous la forme d’un petit feu de paille, rapidement éteint par des réactions plutôt favorables. Cette même personne a du reste adressé un courrier dans lequel elle « s’oppose » à la projection du film à la direction de l’UEPAL et au Conseil presbytéral… Le même courrier a été publié le samedi 15 septembre parmi les courriers des lecteurs des Dernières Nouvelles d’Alsace.
Avec le courrier de l’UEPAL, nous avons reçu en tout et pour tout deux courriers manifestant une réserve à l’égard de la projection de l’Exorciste à Saint-Guillaume.
Qu’avez-vous à répondre à ceux qui estiment qu’un tel film n’a rien à faire dans une église ?
Je leur répondrai que si une église représente certes et avant tout le lieu de culte d’une communauté paroissiale particulière, il représente aussi un lieu de culture, de rencontre, de débat et de partage, un lieu appelé à s’ouvrir sur la cité où tout un chacun est appelé à se sentir accueilli, au-delà de son origine, de ses croyances, de son orientation sexuelle, de son statut social… Cette ouverture nous tient particulièrement à coeur à Saint-Guillaume et nous nous réjouissons que la projection de l’Exorciste permette à cette ouverture d’être communiquée de manière très large.
Concernant le film, il est vrai qu’il comporte quelques scènes effrayantes, violentes, voire gores. Mais en faisant abstraction d’effets spéciaux un peu vieillis et exagérés, il pose la question du mal et de ses manifestations concrètes… tout comme la pose le condamné à mort agonisant sur une croix sur l’autel ainsi que sur des vitraux et des tableaux ornant l’église. Ailleurs, à la cathédrale par exemple, des gargouilles et des représentations monstrueuses viennent renforcer cela.
Mais je retiens la fin du film : deux prêtres donnent leur vie pour qu’une jeune fille puisse retrouver la sienne, et ne peux m’empêcher de faire le parallèle avec cet extrait du 15ème chapitre de l’évangile selon saint Jean : « il n’y a pas d’amour plus grand que de donner sa vie pour ses frères/ses soeurs »… tout comme l’image du condamné à mort agonisant omniprésente dans nos édifices cultuels ouvre au dépassement que représente Pâques : la vie envers et contre tout, dans une confiance qui ne craint pas même la mort. Nous nous situons au coeur du message chrétien.
Cette projection est une première mondiale, semble-t-il. Y’a-t-il une fierté pour vous à être ainsi précurseur ?
J’ai été surpris d’apprendre qu’il s’agissait d’une première mondiale. Alors non, il n’y a aucune fierté.
Par contre, j’ai l’habitude de dire que si en repartant de Saint-Guillaume, on se pose plus de questions qu’en arrivant, j’ai bien travaillé. Face au questionnement que suscite la projection de l’Exorciste à Saint-Guillaume avec une couverture médiatique à l’échelle nationale, je me dis qu’avec mon Conseil, nous avons bien travaillé…
Vous avez décidé de vous attaquer à la thématique de l’exorcisme, puisque la projection sera suivie de deux conférences sur ce thème (le 22 avec Michel Cieutat, pour prolonger le film directement, plus tard avec Sébastien Milazzo, maître de conférence à la faculté de théologie catholique de l’Unistra). C’est donc une thématique sérieuse, ancrée dans une réalité ?
J’avoue que la question me dépasse et que j’ai renvoyé les rares demandes qui me sont parvenues au cours de 20 années de ministère pastoral à des confrères susceptibles de les accueillir. Les interventions de Michel Cieutat et de Sébastien Milazzo sont pour moi motivées par l’importance que nous attachons au débat à Saint-Guillaume. Il était en effet pour moi hors de question d’envisager la projection d’un tel film à l’église dans l’esprit d’un tour de manège à Europapark. Imaginant bien que tant la projection de ce film dans une église que le contenu du film pouvaient interpeller, il m’a semblé important d’offrir un espace de réflexion et de débat à quiconque souhaite approfondir la question, tant sur le plan culturel, cinématographique, que sur le plan spirituel.
Ca peut vous donner des idées d’autres diffusions de films pour aborder d’une façon insolite des thèmes de société ?
Effectivement. Mais chaque chose en son temps ! Quoi qu’il en soit, je souhaite que Saint-Guillaume demeure un lieu où la culture puisse s’exprimer librement et où l’on peut parler de tout dans le respect et de manière constructive !
Comment imaginez-vous le public durant ces deux séances de jeudi soir ?
Joker ! On verra !
Vous avez expliqué depuis l’annonce de la diffusion du film que c’est aussi pour faire connaître le projet de restauration de votre église. Qu’en est-il ?
Une grande restauration de l’église est effectivement en cours. Le coût total des travaux est estimé à 3’000’000 € ; 55 % de cette opération sont à charge de la paroisse, ce qui représente une somme astronomique, même pour une paroisse qui a la chance de posséder un parc immobilier. Une opération de levée de fonds s’avère donc indispensable.
La projection de ce film et son retentissement médiatique exprime que faire preuve de générosité dans le cadre du projet #SauvonsGuillaume ne signifie pas apporter son soutien à une communauté paroissiale protestante luthérienne particulière du centre-ville de Strasbourg, mais qu’il s’agit d’investir dans un bâtiment qui au-delà de sa valeur patrimoniale représente un lieu de rencontre, d’échange, de culture et de vie ouvert à toutes et à tous, et rayonne un esprit d’ouverture.
Avez-vous le sentiment d’être un peu un extraterrestre parmi les personnels religieux (toutes religions confondues) à Strasbourg ?
Concernant mes confrères et consoeurs strasbourgeois avec lesquels nous avons discuté de la projection de l’Exorciste, pas du tout. A titre anecdotique, une consoeur retraitée me disait, ayant eu vent du remue-ménage provoqué sur les réseaux sociaux par la personne que j’évoquais précédemment : « ce n’est pas le bâtiment qui est saint, c’est nous qui sommes appelés à le devenir ; ce n’est pas un bâtiment qui est habité par la présence de Dieu, c’est nous qui sommes appelés à l’être ».
Pour les autres confessions chrétiennes et religions, je ne sais pas. Peut-être. Probablement pour certains : lorsque l’on fait preuve d’audace et que l’on fait un pied-de-nez au « politiquement correct », on suscite des réactions, franchement positives, ou franchement négatives. Mais j’aime ce qui est franc et clair, même s’il en découle des positions « inconfortables ». Et ces mots du livre du troisième chapitre de l’Apocalypse m’interpellent au quotidien : « Je connais tes oeuvres. Je sais que tu n’es ni froid ni bouillant. Puisses-tu être froid ou bouillant ! Ainsi, parce que tu es tiède, et que tu n’es ni froid ni bouillant, je te vomirai de ma bouche. » Que Dieu me garde de devenir « politiquement correct », tiède !
Tubular Bells, l’envoûtant morceau de Mike Oldfield, bande originale du film, sera aussi interprété sur l’orgue de l’église avant les projections.